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21 juillet 2008

>RETOUR ACCUEIL< MADAME PICHE Le bâtiment

>RETOUR ACCUEIL<

MADAME PICHE

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Le bâtiment C. Nous stationnons le véhicule et nous dirigeons vers l'interphone. Il faut insister. Deux, trois coups de sonnerie. Une petite voix enveloppée de grésillements finit par nous répondre : "Oui, qui est-ce ?"

  Il est deux heures du matin et évidemment la personne qui nous répond à l'air très surprise.

  - C'est la police, madame, vous nous ouvrez s'il vous plaît ?

  - La police ? Qu'est-ce qui ce passe ?

  - Vous nous ouvrez, on va vous expliquer...

  - Oui mais enfin, vous vous rendez compte, il est deux heures du matin...

  - Bon, mettez-vous à la fenêtre, comme ça vous nous verrez.

  - Oui moi je veux bien mais bon... je vais ouvrir.

  La fenêtre du deuxième étage s'illumine. Une dame d'un certain âge fait son apparition. Nous demandons à cette dame de bien vouloir nous ouvrir.

  - Mais enfin, qu'est-ce qu'il se passe...

  - Vous nous ouvrez madame, on va vous expliquer.

  - Mais enfin il est deux heures du matin !

  - on sait bien mais on a quelque chose à vous dire, madame.

  - Oui mais à cette heure ci, quand même !

  Avec une très légère pointe d'exaspération, mon collègue s'exclame : "Bon, écoutez, si on est ici c'est qu'on a vraiment quelque chose à vous dire, vous nous ouvrez s'il vous plaît ?

  - Vous m'inquiétez là... bon, je vous ouvre...

  Nous grimpons les escaliers, sans trop nous presser, redoutant l'épreuve que nous allions infliger à cette pauvre vielle dame. Auparavant, mon collègue et moi nous sommes mis d'accord afin de rester auprès d'elle lorsqu'elle contacterait l'hôpital. Vu l'âge avancé de cette dame, nous craignons sa réaction. Nous frappons à la porte. Elle ouvre immédiatement.

  - Bonjour messieurs, que se passe-t-il ?

  Le collègue prend la parole.

  - Voilà madame, si nous sommes là ce soir c'est pour vous annoncer une nouvelle pas très agréable...

  - Quelle nouvelle, qu'est-ce qu'il se passe ?

  - Et bien voilà... il s'agit de votre fille... vous devez contacter le commissariat de (...) qui vous donnera de plus amples renseignements. Votre fille a été transportée par le SAMU à l'hôpital de (...).

  - Ma fille ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Comment va t-elle ?

  Nous savons que sa fille a été retrouvée pendue dans son domicile par les collègues d'un autre département, et qu'elle a été décrochée par les Sapeurs-pompiers. Malheureusement trop tard, puisque l'état de cette personne ne laisse que très peu d'espoir. Notre présence chez cette dame se justifie par le fait que le cerveau de sa fille, selon les médecins, est complètement zingué par le manque d'oxygène, et que l'hôpital a besoin d'une réponse rapide de la famille concernant le don d'organe. En fait, sa fille est en état de mort cérébral. Elle est maintenue en vie surtout ... pour les organes. Nous pourrions dire tout ceci à cette pauvre dame, mais nous sommes chargés d'aviser la famille en remettant un numéro de téléphone... auprès duquel elle trouvera de plus amples renseignements.  Cela nous arrange t-il ? Je crois, oui...

  En coeur : "Nous ne savons pas ce qu'il s'est passé, madame, mais appelez ce numéro. Voulez-vous que nous restions avec vous pendant que vous appelez ?"

  La dame paraît déboussolée... sans l'être. Elle a le regard fuyant, son visage est grave sans pour autant être affolé. Elle saisi le morceau de papier que nous lui tendons et sur lequel est inscrit le numéro de téléphone. Il s'agit du numéro du commissariat qui a contacté notre service afin que nous fassions l'avis à famille. La dame nous répond timidement qu'elle accepte notre présence auprès d'elle et nous invite à entrer chez elle. Nous nous dirigeons en sa compagnie vers le téléphone situé dans le vestibule. Elle s'assoit, et pianote le numéro. Elle nous pose encore deux ou trois questions sur l'état de santé de sa fille, nous lui répondons une nouvelle fois que nous n'en savons rien. Nous sommes tout de même soulagés : cette dame ne s'effondre pas, elle ne fait pas de crise d'hystérie, elle ne fait pas de malaise. Les tremblements de sa main sur le clavier du téléphone semblent être uniquement dû à la veillesse. Plusieurs tentatives pour composer le numéro, en vain. Mon collègue compose à sa place. Quelqu'un décroche, il s'agit du commissariat qui l'informe du lieu d'hospitalisation de sa fille et qui lui fournit le numéro de téléphone de l'hôpital. Le collègue compose donc ce numéro et redonne le combiné à la dame. Une voix féminine répond, la veille dame se présente. La personne au bout du fil redirige l'appel vers le service concerné. Une autre voix féminine répond. Il s'agit de l'interne qui s'occupe de sa fille :

  - Bonsoir madame, voilà, je suis l'interne qui s'occupe de votre fille... elle est dans un état grave puisqu'elle a été retrouvée pendue dans son domicile et que le cerveau a subi des dommages importants... il est resté une vingtaine de minutes sans oxygénation ce qui va occasionner des séquelles inévitables et irréversibles si votre fille venait à se réveiller.

  - Et là actuellement, comment elle va ? Demande calmement la dame.

  - Et bien... elle est dans un coma profond. Il faut savoir que nous n'avons pas beaucoup d'espoir, madame. Son état est très sérieux.

  Notre veille dame lâche bien un "mon dieu" de temps en temps, mais ne paraît pas très affolée, compte tenu de la terrible nouvelle que vient de lui annoncer l'interne. Elle ne semble pas réaliser. Là se produit un évènement surréaliste. La question tombe :

  - Et sinon, elle va avoir des séquelles physiques ?

  Un blanc. Nous nous regardons. Elle n'a pas compris. L'interne au bout du fil vient de lui expliquer que le cerveau de sa fille est désormais aussi intelligent qu'un concombre, mais elle ne semble pas réaliser.

  - Écoutez, oui... les séquelles physiques, si votre fille venait à  se réveiller, seraient les conséquences de l'état de son cerveau... mais de toute façon, il est très peu probable qu'elle se réveille...

  Notre dame n'a pas de voiture et ne peut se rendre à l'hôpital. Elle décide donc de contacter son mari, avec qui elle ne vit plus mais qui habite à quelques pâtés de maisons, et qui lui est véhiculé. Elle n'a pas son numéro de téléphone, alors nous l'accompagnons jusqu'à chez lui. Dans la voiture elle nous dit qu'elle espère que l'état de sa fille n'est pas trop grave. Nous lui demandons si elle a bien compris ce que lui a dit l'interne, elle nous répond que oui. Elle nous nous dit que le cerveau de sa fille est mort. Elle ne s'effondre pas. Elle ne réalise pas. Nous arrivons chez son mari. Nous frappons aves insistance à la porte. Dès qu'il ouvre nous entrons et lui faisons part de ce que nous savons. Il percute immédiatement mais ne perd pas pied. Il cherche une carte routière pour se rendre à l'hôpital. Nous prenons congé et nous dirigeons vers la sortie. Je me retourne. La dame tient sa tête entre ses mains. Elle réalise, elle s'effondre.

  Dans la voiture, le collègue me dit que cette dame lui fait penser à un sketch d'Elie et Dieudonné : "madame Piche". Dans le sketch, un homme se rend à l'hôpital pour prendre des nouvelles de sa femme, et le médecin s'échine à lui expliquer en vain que sa femme est décédée. Morceau choisi :

  Le médecin : "Sa voiture a quitté la route, selon les informations, le TGV est passé dessus... Enfin bon ! J'ai pas tout suivi, mais ce que je sais, c'est qu'elle nous est arrivée ce matin en 3, 4 fois, hein ! J'ai fait ce que j'ai pu, heu ! J'ai passé 8 heures dessus avec l'anesthésiste...

  Monsieur Piche : "Oui ! Oui ! Ben moi, j'ai passé 15 ans, heu !... 15 ans d'une vie sans tâche, avec Nicole, on est très fleur bleue... Quand on est séparé plus de 2 jours, c'est la panique, hein !... Ça va, elle va bien, elle vous a pas embêté, hein ?"

policeline

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