BABA AU RHUM

21 juillet 2008

J'étais du côté passager et j'actionnais le gyro-deux tons lors de notre arrivée sur l'accident. Le collègue au volant manoeuvra le véhicule de manière à bien le positionner afin de baliser les lieux. Dans l'obscurité de la nuit, les éclats bleus de la rampe lumineuse inondaient les façades environnantes. Nous sommes tous les deux descendus du véhicule et nous nous sommes dirigés vers un groupe de trois personnes. Derrière eux se trouvait un véhicule encastré dans un terre-plein. Parmis ces trois personnes se trouvait un homme d'une cinquantaine d'année, d'apparence négligée. En nous voyant se rapprocher, ce dernier faisait mine de nous montrer une cigarette encore intacte.

- Vous avez du feu ? J'ai pas de feu.

- Bonjour monsieur, nous ne fumons pas. Personne n'est blessé ? Demandais-je.

- Ouais c'est ça, ouais... pffff...

- Qui est le conducteur du véhicule ?

- C'est moi, vous avez pas du feu ?

- Bon, monsieur, présentez nous les documents afférents à la circulation et à la conduite du véhicule, je vous prie.

- Non mais attendez, là... j'ai cinquante-cinq balais et pour moi vous êtes deux petits trous du cul là... alors vos documents machins... faîtes pas chier !

- Houuu... attendez monsieur, vous n'allez pas commencer à réagir de cette manière d'accord ? On vous demande quelque chose alors essayez d'être coopératif... intervient mon collègue.

- Monsieur, vous venez d'avoir un accident de voiture et visiblement vous avez bu, on vous demande simplement de présenter les papiers du véhicule, c'est notre travail, vous voyez ? Rajoutais-je.

- Ouais c'est ça, allez vous faire foutre avec vos machins trucs, vous avez du feu ? j'ai pas de feu.

Cet individu était visiblement aussi imbibé qu'un baba au rhum. Lorsqu'il parlait des relents de whisky nous sautaient à la figure et s'introduisaient agressivement dans nos narines. Ses yeux étaient vitreux mais il arrivait tout de même à tenir debout sans perdre l'équilibre : il était apparemment habitué à rincer ses veines de nectars alcoolisés. Les âneries qu'il déblatérait étaient difficilement prononcées par une mâchoire engourdie par l'alcool.

Le véhicule accidenté était une Renault Mégane ancien modèle. Il était "posé" sur le terre-plein ainsi que sur les barrières en métal complètement détruites qui servaient jadis à l'encadrer. Le nez de la voiture pointait légèrement vers le ciel, la calandre et le capot étaient défoncés. De multiples débris jonchaient le sol.

Les deux hommes présents avec le baba au rhum nous indiquaient qu'ils étaient restés en sa compagnie afin éviter qu'il ne divague sur la chaussée. Ils ne le connaissent pas mais ont tenu à l'encadrer le temps de notre arrivée. D'ailleurs c'était l'un d'entre eux qui avait téléphoné à nos services. Nous avons donc expliqué à ces messieurs qu'ils pouvaient quitter les lieux et nous les avons remercié.

Nous nous efforcions ensuite de demander à l'individu imbibé les papiers du véhicule ainsi qu'une pièce justificative de son identité mais en vain, puisque ce dernier se montrait de plus en plus arrogant à notre encontre :

- Ouais et puis d'abord vous êtes qui, vous, police municipale ou police nationale ? Hein, parce que la municipale, moi...

- Monsieur, nous sommes la police nationale, et si vous êtes trop bourré pour ne pas arriver à le lire sur notre véhicule, vous feriez mieux de la fermer ! lui répondis-je.

Cet homme ne comprennait pas qu'il doit le respect aussi bien à la police nationale qu'à la police municipale. Il ne le comprennait pas peut-être parce qu'il était bourré, mais aussi et surtout parce qu'il était complètement idiot.

- Oui ho ça va, hein... allez vous faire voir petits trous du cul de merdeux ! nous lança t-il.

C'en était trop. Le baba au rhum dépassait les limites. Il poussait mémé dans les orties, comme j'aime à dire. Je saisis énergiquement son bras droit afin de l'immobiliser contre ce qui restait de la voiture pendant que mon équipier s'efforçait de lui passer les menottes. Le baba au rhum était teigneux et il ne se laissait pas faire. C'est méchant, un baba au rhum...

Nous avons "foutu" le baba au rhum à l'arrière du véhicule de service. Ainsi les deux "trous du cul" ont eu l'honneur de goûter aux joies du lancé de baba au rhum. Il était un peu gras et lourd, mais en insistant bien...

Nous avons faisons retour au service avec cet individu afin de le présenter à un officier qui le placerait certainement en garde à vue pour conduite sous l'emprise d'un état alcoolique. Nous avons fait souffler ce monsieur dans un éthylomètre. Il a présenté un taux d'alcoolémie de 0,98 mg/litre d'air expiré, autant dire presque deux grammes d'alcool dans le sang... idéal pour conduire !

Devant l'éthylomètre et pas encore levé de sa chaise, baba au rhum s'adressa à nous :

- Hé dites donc...

- Oui monsieur ?

- Vous avez pas du feu ? j'ai pas de feu...